UNE JOURNEE MONASTIQUE

Dans les gestes qui émaillent la journée d’une moniale du lever au coucher du soleil, l’éternité affleure et transfigure la banalité du quotidien.

Seigneur ouvre mes lèvres et ma bouche publiera ta louange

Dès l’aube, les moniales répondant à l’invitation du Seigneur, s’empressent dans le silence de rejoindre l’église pour le premier office du jour, les Matines. A la suite des femmes qui accourent au tombeau le matin de Pâques, les moniales veillent dans l’attente du retour du Seigneur. Comme le disait Saint Ambroise : «  Nous appliquant à la prière nous commençons le jour en Dieu et nous l’achevons en lui.» (S. AMBROISE, De Abraham, lib II, c. 5, n. 22, PL 14, col. 465).

Le temps qui nous achemine vers les laudes résonne encore de la Parole de Dieu qui trouve son écho dans la prière privée.

A l’heure où la lumière triomphe des ténèbres les Laudes nous invitent à louer le Seigneur avec toute la création. « Nous faisons ici-bas ce que les anges font dans le ciel où ils chantent sans cesse  les louanges de Dieu par leur Sanctus. » (Mère MECTILDE de BAR Chapître,De la révérence que l’on doit avoir à l’Office divin).

Puis la moniale cherche et rencontre Dieu dans la Parole vivante : elle « découvre le cœur de Dieu dans les paroles de Dieu » (Saint Grégoire le Grand). Elle entre en dialogue avec le texte sacré, elle l’interroge pour se laisser ensuite interroger par lui et transfigurer.Comme l’écrivait Cassien, la Parole divine remplit le moulin de nos pensées :

« Le travail de notre cœur peut être comparé à une meule de moulin qu’un courant d’eau rapide fait tourner. Cette meule ne s’arrête jamais tant que l’eau lui communique son mouvement; mais il dépend de la volonté du maître de lui faire broyer du blé, de l’orge ou de l’ivraie. La meule n’agira, certainement, que sur ce qu’on lui confiera. Il en est de même de notre âme […].Sous la pression continuelle des passions, elle ne reste jamais vide de pensées; mais c’est à chacun à bien les choisir et à diriger avec soin son travail. Si nous recourons à la

méditation des saintes Écritures, si nous appliquons notre mémoire au souvenir des choses spirituelles, […] nos pensées seront nécessairement semblables aux sujets dont nous avons occupé notre esprit. » (Cassien 1ère Conférence de Moïse chap XVIII Sources Chrétiennes  42 p.99).

De là à la prière du cœur il n’y a qu’un pas.

Ce contact prolongé avec la Parole divine nous prépare à une rencontre plus profonde avec le Christ, amour vivant offert dans l’Eucharistie. Comme l’exprime si clairement le Concile Vatican II :« Dans la célébration du sacrifice eucharistique source et sommet de toute la vie chrétienne, les fidèles offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle. »(Cf Concile Vatican II, ConstitutionLumenGentium n° 11).

Mère Mectilde, trois cents ans auparavant ne disait pas autre chose quand elle affirmait : «  la sainte Messe est un magnifique banquet où les convives reçoivent Jésus-Christ tout entier : savoir sa divinité, son humanité, son âme sainte et toutes ses perfections infinies. » Son amour fervent s’étonnait : « vous êtes nourries de Jésus-Christ, êtes-vous des Jésus-Christ ? Depuis le temps que vous communiez on ne devrait plus voir que Jésus-Christ. » (Mère Mectilde Chapitre pour la fête du Saint Sacrement N 266 ).

Chaque jour, l’adoration prolonge la célébration de l’Eucharistie. À la suite de Marie, des Apôtres et de la première communauté chrétienne, nous nous succédons tout le jour  devant le Christ présent en son Sacrement d’Amour, « Présence qui vient de la maison du Père et du bout de l’histoire. »(Cf François-Xavier Durrwell, op.cit. p.124). Nous vivons ce temps de communion intense en lien avec les premiers convives de cette table eucharistique : « la  glorieuse Vierge Marie […] et tous les saints » (Concile Vatican II, Lumen Gentium n°50), qui déjà participent au mystère pascal en plénitude. En même temps cela nous ouvre aux hommes des pays lointains qui ne  connaissent pas encore le Christ mais dont l’Eucharistie fait des hommes très proches. » (François-Xavier Durrwell, L’Eucharistie sacrement pascal, édition du Cerf, Paris 1981 p. 148).

Nous devons, comme chacun, gagner notre pain quotidien pour vivre modestement et partager dans un souci de solidarité, comme le demande l’Evangile. Notre travail nous fait communier à celui de nos frères en humanité et participer à l’œuvre créatrice de Dieu. Source d’épanouissement et de joie, il favorise la croissance de la personne. Dans le monastère toute tâche, tout service,  doit être accompli comme un culte rendu à Dieu dans l’amour.

Au milieu du jour l’office de Sexte célèbre l’heure de la crucifixion du Seigneur. Nous présentons le travail des hommes et la vie du monde, qui unis à son sacrifice prennent sens dans l’échange mystérieux qui participe au salut universel. Nous prions tout spécialement pour le Saint Père, les prêtres et les intentions qui nous sont confiées.

Comme nous avons partagé la table eucharistique, l’heure est venue de partager le pain qui refait nos forces. Mais comme il ne suffit pas de nourrir le corps, l’écoute de la lecture nous permet d’enraciner notre prière dans la réalité du quotidien et de raviver sa dimension spirituelle.

Avant de reprendre le travail nous nous réunissons de nouveau pour la louange.

None est l’heure de la Pâque du Seigneur sur la croix et de sa grande miséricorde pour la création sur laquelle il envoie l’Esprit Saint. Notre vocation nous appelle à puiser à cette source immortelle pour nous faire humble chenal de la grâce divine.

La prière desVêpres nous rassemble dans l’action de grâce pour célébrer la création et la recréation dans le Christ lumière sans déclin. A travers les paroles du Magnificat  nous faisons mémoire des merveilles que fit pour nous le Seigneur.

Après le dîner, un moment de détente fraternelle permet des échanges propres à favoriser la vie communautaire. Ce temps est aussi propice au partage des nouvelles familiales et amicales, des intentions qui nous sont confiées, des peines et des joies qui nous parviennent.

Ensuite la communauté se retrouve à la salle du Chapître pour une lecture spirituelle  suivie des Complies, dernière prière du jour, avant le repos.

L’antienne à la  Mère de Dieu qui la clôt prépare l’entrée dans le grand silence de la nuit. Ce jeûne de parole nous garde dans l’attente du Seigneur qui vient dans l’Eucharistie.